Mardi 29 mars à partir de 18h30 : rencontre avec Mustapha Belhocine

Cette rencontre est organisée à l’occasion de la parution de Précaire ! aux éditions Agone.

Quelques scènes d’une vie de précaire consignées par un apprenti sociologue retournant par l’écriture la domination et l’exploitation :

Devant moi, un hall gigantesque, divisé en cages grillagées sur toute la hauteur. On ne peut pas passer d’une cage à l’autre, chaque porte est surveillée par un agent de sécurité et seuls les contremaîtres peuvent ouvrir. Je suis devant un tapis roulant. Une boîte tombe du ciel, un carton arrive et je dois mettre la boîte dans le carton. Au bout de cinq minutes, je suis déjà épuisé, comment je vais tenir jusqu’à 21 heures ? Comment je vais tenir tout court ? Comment peut-on tenir plusieurs mois ?
À 19 heures les machines s’arrêtent. Je ne sentais plus mes jambes ni mes bras. Escortés par les chefs d’équipe, nous marchons d’un pas lent, en file indienne. On nous ouvre puis nous regroupe à cinquante dans une petite salle crasseuse. Il n’y a pas assez de chaises, de toute façon je n’aurais pas eu la force de m’asseoir.
— Écoutez, je sais que vous avez beaucoup travaillé, ça fait à peine cinq minutes que vous êtes en pause, mais on vient de recevoir de la marchandise. Alors on y retourne, vous récupérerez une heure ce soir, mais pour ça, faut emballer et faire ça bien !
J’interpelle un mec à côté de moi : « Putain, c’est pas possible, ils n’ont pas le droit ! C’est interdit, ils ne font pas ça tous les jours… »
— Si ! Tous les jours, c’est comme ça.

Mustapha Belhocine est ce qu’on appelle aujourd’hui un « précaire » : condamné aux contrats courts, il enchaîne des missions d’homme de ménage au pays de Mickey, de manutentionnaire dans un célèbre magasin de meubles ou de « gestionnaire de flux » chez Pôle Emploi – ce dernier poste consistant à renvoyer chez eux les impudents chômeurs venus faire leurs réclamations en direct plutôt que sur Internet.
Armé des mots de Bourdieu, d’un bagout sans faille et de réflexes réfractaires aux ordres illégitimes, il opère de lucides coups de sonde dans les bas-fonds de l’exploitation moderne. Contrairement à Florence Aubenas ou à Günter Wallraff, journalistes s’étant glissés dans la peau de précaires, Belhocine est un précaire par nécessité économique, qui écrit ce qu’il vit pour consigner les cadences, les vexations et la pénibilité, mais aussi faire éclater le ridicule, jusque dans sa langue, d’une organisation sociale exigeant de ses « castmembers opérationnels et motivés » d’avoir le « sens du jeu ».

À l’issue d’une dizaine d’années d’inscriptions chaotiques à l’université, Mustapha Belhocine est titulaire depuis 2012 d’un master de sociologie à l’EHESS. Il livre ici, à 42 ans, la synthèse de la succession picaresque des emplois à plein temps qui ont accompagné sa formation d’apprenti sociologue.

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